Le défi émotionnel

Le défi émotionnel

Comment comprendre et mettre en oeuvre le nouveau projet pédagogique

Michel Claeys, Éditions du Souffle d’Or, février 2018.

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Depuis Einstein nous savons que tout dans l’univers est circulaire, ce qui implique que tout tourne toujours autour d’un Centre. Ceci explique la gravitation, comme d’ailleurs ce qu’on appelle la loi d’attraction. Car si l’espace-temps ne peut exister que dans la circularité, s’il émerge d’un Point Central, lui-même situé en dehors de l’espace-temps, il est aussi comme aimanté par ce Centre dont il émerge. Aimanté est d’ailleurs un mot bien approprié, car en effet, l’amour n’est qu’un autre mot pour désigner cette force de cohésion qui attire vers le Centre. Ce sont, à l’évidence, une seule et même chose. On pourrait nommer cette force autrement et l’appeler « source de création » ou « puissance créatrice de l’univers »…

Quel lien avec l’éducation émotionnelle ? C’est assez simple. Nous possédons tous, par définition, un « Centre ». Un Centre qui se situe dans l’ici et maintenant, en dehors de l’espace-temps. Un Centre qui nous « aimante », qui nous offre sa force, sa puissance de « redressement », de rééquilibrage, son inspiration. Une puissance qui nous permet de rester en vie, de nous exprimer, de ressentir, d’être conscients…

Cette force intérieure qui nous habite tous représente un élément essentiel de notre nature humaine. Si on veut comprendre pourquoi et comment le corps est capable de se maintenir en bonne santé par ses propres ressources, c’est là une clé fondamentale. Si on veut comprendre comment notre intelligence émotionnelle se développe, ce l’est tout autant. Si on veut comprendre comment les enfants peuvent exprimer dès leur plus jeune âge des qualités d’amour, de pureté, de joie, de présence dans l’ici et maintenant qu’aucun adulte ne parvient à égaler, ce l’est tout autant. C’est que le corps émotionnel, lui aussi, possède son champ gravitationnel, son Centre. On peut réellement parler de gravitation émotionnelle. Tout comme il y a une gravitation mentale : celle qui nous ramène à une pensée « centrée dans le cœur », équilibrée, inspirée.

Les compétences de ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’intelligence émotionnelle sont par conséquent communes à tous les humains, où qu’ils soient et quels qu’ils soient : elles tendent à exprimer les qualités essentielles contenues dans notre « Centre ». Ces compétences sont universelles : l’amour-bienveillance, la joie, la sérénité, la sagesse, la confiance, la puissance, l’harmonie, l’équilibre… Elles ne peuvent que reposer sur cette gravitation émotionnelle. Elles sont l’expression de notre « Centre », émergeant comme une force de vie, s’efforçant à se tenir debout, en équilibre entre ce qui la pousse vers le haut (l’expression dans le monde de l’espace-temps) et ce qui la maintient enracinée dans le bas (notre centre individuel).

La question qui se pose, dès lors, est : « comment pouvons-nous nous aligner davantage sur les ressources intérieures de ce Centre ? » Car c’est là, bien entendu, l’objectif essentiel de tout être. Un objectif étroitement lié aux grandes questions qui agitent nos esprits : quel est le sens de la vie ? Qui sommes-nous ? D’où venons-nous, où allons-nous ?

Le développement de l’intelligence émotionnelle est donc ce qui nous permet de développer un ancrage solide dans nos ressources intérieures. Ce développement se fait progressivement, par étapes. Un parcours qui évolue d’un stade de réactivité brute, incontrôlée, sans conscience claire ni capacité d’autorégulation, vers un stade où les compétences sont progressivement identifiées et intégrées. Les qualités et ressources profondes de l’être vont alors pouvoir se refléter dans les comportements de l’individu, et plus il avance plus elles vont profondément transformer son existence. La vie est un processus de déconnexion en même temps que de reconnexion. Il s’agit de parcourir ces différentes étapes qui permettent à l’être essentiel de se révéler, de déployer sa puissance, de libérer sa créativité.

Chaque individu est soumis à ce processus, même si on observe que la plupart des humains ne dépassent que bien difficilement les stades initiaux. On pourrait croire que ces niveaux de compétences sont innés et peu modifiables. Il n’en est rien ! Ils reposent sur des apprentissages. Des prises de conscience sont possibles à tout âge, et l’être humain termine souvent sa vie avec un peu plus de sagesse et d’équilibre que durant ses années laborieuses. Quel que soit le rythme de ce développement (parfois lent, partiel, ou parfois même inexistant), nous pouvons considérer que l’être humain évolue :

– d’un stade de faible conscience, soumise aux pulsions inconscientes, vers un stade de pleine conscience et d’intention claire ;

– d’un état égocentré, avec des besoins impératifs et une insouciance envers le monde extérieur, vers un état opposé, altruiste et coopératif, attentif et ouvert, capable d’équilibrer les besoins personnels avec ceux de l’environnement extérieur ;

– d’une rigidité froide et fermée vers une fluidité chaleureuse et ouverte ;

– d’un état de focalisation dans le mental, déconnecté du cœur, vers un état d’ouverture du cœur et d’équilibre tête/cœur ;

– d’un état de conscience linéaire, clivante, individualisante, séparant les éléments les uns des autres, vers un état de conscience unifiante, capable de rassembler et d’harmoniser ;

– d’un état d’agitation, de tension, de pression conflictuelle vers un état de paix, d’harmonie, de confiance et d’ancrage dans les ressources profondes de l’être.

Un parcours individuel et collectif

Au-delà du processus individuel, la société humaine dans son ensemble n’échappe pas à ce même parcours d’apprentissage. On peut observer une évolution comportementale qui va du stade de survie (clanique, compétitif, conflictuel) vers un stade de coopération et d’harmonie. Certes, avec des hauts et des bas, avec des différences selon les civilisations, des progressions et des retours en arrière… mais avec une tendance évolutive générale indéniable. La preuve en est qu’aujourd’hui l’humanité terrestre se trouve dans un état d’éveil et de développement qui n’a rien à voir avec un quelconque stade de son passé. Ce qui fait la différence, c’est la capacité d’établir ensemble des rapports sur une base moins réactive, moins craintive, moins égocentrée. On observe une prise de conscience de l’interdépendance des individus et des peuples, une accentuation des modes coopératifs, un glissement des valeurs et des motivations vers davantage de multi-culturalité, d’acceptation des différences, d’intégrité, de transparence, d’égalité, de justice… Il y a du progrès, mais il reste un gros travail à faire pour que collectivement nous puissions révéler le potentiel de magnificence que recèle notre Centre.

Or ce travail, il ne tient qu’à nous de le faire. Individuellement et collectivement.

Le progrès réel, une vie digne pour tous, un monde harmonisé, pacifique, libre et confortable pour tous, ne se construiront que sur la base de ce que nous sommes, de notre qualité d’être, de nos compétences relationnelles, d’une réelle atmosphère de bienveillance dans le monde entier. Tout le reste est subsidiaire.

Education émotionnelle : un ascenseur émotionnel collectif

Au-delà de ce que chacun choisira de faire sur le plan personnel, il s’agit également de mettre en place un ascenseur émotionnel collectif. Et cet ascenseur s’appelle l’éducation émotionnelle et sociale : il faut assurer la mise en place de moyens pédagogiques ajustés et efficaces pour que les jeunes générations puissent acquérir les compétences nécessaires afin de pouvoir concrétiser cette société à laquelle tous les humains aspirent.

De nos jours on observe un vaste mouvement planétaire qui va dans le sens du développement de la maturité émotionnelle de l’humanité. Sans exception, tous les continents, toutes les cultures y participent. Cela a démarré avec l’émergence de la psychologie et des sciences humaines il y a plus d’un siècle. Des outils psychothérapeutiques, des outils de développement personnel et des outils pédagogiques ont fait leur apparition puis se sont multipliés. En un siècle, la progression a été exponentielle. Lente au départ, elle a pris aujourd’hui un rythme accéléré. Les prises de conscience font tache d’huile. L’être humain se transforme, et avec lui les modes de comportement, les méthodes, les stratégies pédagogiques.

Ce qui doit changer, ce ne sont pas des choix d’alternance politique. Ce ne sont pas (que) des choix économiques, pour ou contre la mondialisation, pour ou contre une monnaie unique… L’exigence va bien au-delà. Il faut accompagner l’émergence d’une nouvelle humanité, d’un être nouveau. Non pas qu’il faille le créer : il se crée tout seul ! Il est déjà là, dans les jeunes générations. L’exigence est de se préparer à accompagner correctement ces jeunes générations. Leurs besoins sont différents des besoins qu’avaient leurs parents et grands-parents. Nous le savons, nous l’observons : les parents et les enseignants ont beaucoup de mal à les tenir. Ils sont impertinents, provocateurs, insolents, autonomes, précoces, curieux… Ils paraissent insoumis, mais cette insoumission est due à leur besoin d’une plus grande liberté. Ils veulent être acteurs de leurs apprentissages, et c’est bien souvent contraints et forcés que nous leur accordons des bribes d’une liberté mal cadrée.

Education émotionnelle et formation

La première exigence est celle d’une meilleure formation des parents, des enseignants et de tous ceux qui, de près ou de loin, sont concernés par l’éducation et la formation. Il s’agit de leur donner les compétences émotionnelles et relationnelles nécessaires pour qu’ils puissent mettre en place les conditions nécessaires qui permettent d’éveiller aux compétences d’être.

À terme, ce sont tous les secteurs d’activité qui devraient pouvoir bénéficier d’une formation incluant les compétences psycho-sociales et le développement personnel. Les acteurs dans le secteur médical, paramédical, social, psychologique, ainsi que les responsables dans le secteur administratif, judiciaire, en entreprise ou ailleurs, tous ceux qui exercent une quelconque responsabilité dans le domaine de l’éducation, de la santé, du bien-être social ou de la gestion des ressources humaines devraient également maîtriser des compétences fondamentales dans le domaine psycho-relationnel. Jusqu’à présent, les efforts de formation se concentrent sur des objectifs professionnels dans le but de favoriser les compétences techniques des intéressés. Il est temps de se consacrer davantage à la formation aux compétences psychosociales.

À l’heure actuelle, il subsiste encore – en France tout particulièrement – un principe solidement implanté que le « développement personnel’’ ne fait pas partie de la formation professionnelle. Le personnel et le professionnel  sont considérés comme deux choses bien distinctes. Or, ce clivage doit être levé, dépassé. Tout ce qui touche à l’éducation émotionnelle et sociale fait – et doit faire – partie intégrante d’une formation professionnelle complète. L’éducation aux compétences psychosociales comprend des compétences d’être. Il s’agit donc de « développement personnel ». Cela est vrai dans le domaine de l’éducation. Cela est vrai également dans tous les autres domaines professionnels. Certes, tout ce qui relève du développement personnel ne doit pas nécessairement être assimilé à du développement professionnel. Mais des éléments de développement personnel doivent pouvoir être inclus dans le développement professionnel, ce qui n’est généralement pas le cas aujourd’hui.

Pourquoi moi, pourquoi maintenant ?

L’éducation émotionnelle est au cœur du changement de notre société planétaire. Les parents s’y intéressent dans la mesure où ils découvrent qu’il existe des solutions plus créatives, plus positives, pour gérer les tensions familiales et améliorer les compétences de leurs enfants. Les écoles s’y intéressent parce qu’elles se débattent dans des problèmes de violence et de désaffectation. Elles découvrent en plus que l’éducation émotionnelle permet d’améliorer le climat scolaire, la vie des professeurs et la performance des élèves. L’OMS s’y intéresse parce qu’il est avéré qu’elle améliore l’état de santé et réduit les déviances diverses. Les entreprises s’y intéressent parce qu’elle améliore le climat de travail, la satisfaction des employés, la motivation, le bien-être de tous en même temps que la productivité… Alors, pourquoi donc faudrait-il se priver d’une approche qui fait ses preuves et qui n’offre que des avantages ?

Demain, dans 10 ans, dans 20 ans, rien ne sera plus pareil. Les rapports entre les humains se transforment rapidement. Les entreprises commencent déjà à être gérées sur une base plus participative. La bienveillance et la coopération doivent se généraliser sur cette planète. Les modes de gouvernance doivent évoluer. Les rapports humains et les activités humaines doivent se transformer. Si la jeune génération veut pouvoir être à la hauteur des enjeux auxquels elle va devoir faire face, nous devons l’y préparer. Et si nous ne voulons pas être en décalage complet par rapport aux jeunes générations, nous devons nous y préparer également.

Pour approfondir cette exploration et découvrir d’autres pistes, lisez Le défi émotionnel’  (Comment comprendre et mettre en œuvre le nouveau projet pédagogique). Éditions du Souffle d’Or, février 2018. Disponible sur ce site en format PDF.

Michel Claeys Bouuaert, thérapeute et formateur, vit le sud-est de la France. Fondateur de l’association pour l’éducation émotionnelle, il se consacre essentiellement à la formation. Il a publié plusieurs ouvrages, dont Education émotionnelle, de la maternelle au lycée, et Le défi émotionnel, publiés aux éditions le Soufe d’Or.